Rapport phare d’ONU Femmes>>
Des années de
mobilisation collective, de stratégies et d’innovation par les groupes de
défense des droits des femmes ont abouti à l’abrogation ou à la réforme de lois
archaïques dans la région de l’Afrique du Nord et de l’Asie occidentale.
L’été 2017 a été
une période extraordinaire pour les groupes de défense des droits des femmes à
travers l’Afrique du Nord et l’Asie occidentale. Après des années de campagne
acharnée, ces groupes sont finalement parvenus à faire abroger les lois qui
contraignaient les femmes à épouser leurs violeurs depuis des décennies.
En l’espace d’un
mois, les gouvernements de la Tunisie, puis de la Jordanie et enfin du Liban
ont abrogé, ou réformé, les dispositions de leurs codes pénaux qui permettaient
aux violeurs d’échapper aux poursuites pénales s’ils épousaient la femme qu’ils
avaient agressée, et aux familles de forcer les femmes à se marier avec leurs
violeurs pour éviter la stigmatisation sociale associée aux rapports sexuels
avant le mariage.
Cela a été une
victoire historique pour le mouvement des femmes de la région, une victoire
construite sur des années de mobilisation collective, de stratégies, de
partenariats et d’innovation.
« Ce que nous
avons vu cet été, nous le devons à la persévérance des femmes dans la région »,
explique Hibaaq Osman, fondatrice et directrice du mouvement Karama, un réseau
de militantes et de groupes de la société civile actif dans le monde arabe.
« Nous avons surtout appris que les changements doivent être impulsés au niveau
local, mais que nous sommes plus fortes quand nous œuvrons ensemble au-delà des
frontières pour atteindre un objectif commun. »
En Jordanie, les
militantes ont profité de la possibilité d’un changement législatif lorsqu’en
octobre 2016, le roi Abdallah II a ordonné une réforme du Code pénal de 1960.
Le Code comprenait alors un article qui suspendait les poursuites pénales pour
les violeurs s’ils épousaient leurs victimes. Selon les chiffres du ministère
de la Justice du pays, 159 violeurs avaient eu recours à cet article entre 2010
et 2013 pour éviter une condamnation.
« Nous avons
compris que c’était l’occasion de contribuer à établir le programme de réforme
pénale et que nous devions faire entendre notre voix et nos revendications »,
dit Asma Khader, directrice générale du Sisterhood Is Global Institute (SIGI).
Elle ajoute que l’élan de la campagne était impulsé par l’abrogation de lois
similaires en Égypte en 1999 et au Maroc en 2014.
Les activistes
ont réuni un ensemble de preuves pour contrer les arguments selon lesquels cet
article de loi permettait de préserver l’unité des familles et de protéger les
femmes de la stigmatisation liée aux relations sexuelles hors mariage.
« Nous avons
compris grâce à l’expérience du Maroc qu’il est nécessaire d’enraciner notre
campagne dans les témoignages de femmes en chair et en os », explique Asma
Khader. Ce pays a abrogé ses lois sur le mariage forcé après un viol suite à
l’affaire largement médiatisée d’Amina Filali, une jeune fille de 16 ans qui
s’est suicidée après avoir été forcée d’épouser l’homme qu’elle accusait de
l’avoir violée.
Intégrer les
messages dans les témoignages de femmes et de filles locales a également permis
de contrer les accusations des opposants selon lesquelles la campagne serait
menée par des féministes désireuses de faire adopter un programme
pro-occidental qui n’a rien à faire dans le droit de la famille.
« Nous avons
documenté 22 cas dans lesquels l’utilisation de cet article devant le tribunal
avait abouti au mariage, tous s’étaient conclus par des violences ou un
divorce », ajoute Asma Khader. « Nous avons utilisé une campagne médiatique
pour appuyer ces idées et affirmer que le mariage et la vie de famille ne
peuvent être fondés sur l’impunité et la criminalité. » Le mouvement des femmes
en Jordanie a travaillé pendant les trois années qui ont précédé la révision du
Code pénal pour susciter un large soutien.
Finalement, leur
campagne a eu un tel succès que le parlement, qui avait le choix d’abroger ou
de modifier la loi, a supprimé toutes les failles juridiques permettant aux
violeurs d’échapper aux conséquences de leurs crimes.
Au Liban, la
lutte visant à abroger l’article 522, qui conférait une immunité similaire aux
violeurs s’ils épousaient leurs victimes, a pris de l’ampleur après que des
organisations de femmes ont mené une enquête montrant que seulement 1 % des
Libanais connaissaient l’existence d’une telle disposition dans leur code
pénal.
« Une fois que
nous avons eu ce chiffre, il est devenu un outil de plaidoyer très puissant et
un moyen de créer une pression et de générer une dynamique », explique Ghida
Anani, fondatrice d’ABAAD, une organisation libanaise de défense des droits des
femmes qui a dirigé la campagne avec le soutien d’ONU Femmes. « Nous avons pu
faire valoir que cela ne faisait pas partie de nos traditions et ne reflétait
pas les valeurs ou les principes de notre société. Les avocats ne l’utilisaient
que pour trouver des moyens de permettre aux violeurs d’éviter les
poursuites. »
Une campagne
choquante et provocatrice mettait en scène une femme couverte de bleus et
d’ecchymoses, enveloppée dans des bandages qui se transforment lentement en une
robe de mariée. Cette image est devenue le symbole d’un énorme mouvement de
ralliement dans les réseaux sociaux en faveur de l’abrogation de l’article 522.
La date du vote approchant, des manifestations publiques ont eu lieu. Des
activistes vêtues de robes de mariée ensanglantées ont manifesté devant le
Parlement et des robes de mariée en lambeaux ont été suspendues comme des
cadavres devant des bâtiments publics.
« Les éléments
destinés au public et aux réseaux sociaux faisaient partie d’une stratégie
tactique beaucoup plus large », ajoute Ghida Anani. « Nous ne voulions pas
seulement en faire une campagne féministe anti-gouvernement. Nous devions créer
quelque chose que tout le monde pourrait soutenir. Lorsque le gouvernement
libanais a voté en faveur de l’abrogation de l’article 522, cela a été une
victoire collective. »
Les succès de
2017 ont encouragé les mouvements de femmes dans la région, les activistes
ayant également réussi à abroger des lois similaires dans le Code pénal de
l’État de Palestine en 2018.
« Nous avons
besoin de faire évoluer les dispositions qui autorisent le mariage d’enfants,
qui nient l’existence du viol conjugal, qui privent les femmes de droits égaux
par rapport aux enfants », déclare Osman. « Nous voyons ce que nous sommes
capables de réaliser lorsque nous sommes organisées et stratégiques. Nous
n’abandonnerons pas. »
0 Comments